Mike Kim - PBP

Sebastian PDV

Dès qu'il est entré dans la pièce, tout le monde s'est tû. Étant donné que c'est la première rencontre depuis l'événement, tous portaient une expression d'empathie sur leur visage. Personne ne dit un mot et on attend qu'il s'installe au bout de la table, une place où a siégé son père depuis des années. Aucun d'entre nous ne s'attendait à vivre une situation pareil. Pourtant, l'avenir de la compagnie était tracée depuis le début. John devait laisser la place à son fils aîné et hériter, Éric. Ce dernier avait été formé toute sa vie pour cette éventualité et avait un grand potentiel dans les affaires. Il était jeune, motivé et doué. Alors c'était un choc pour tout le monde ici présent de voir Mike prendre une place qui ne lui avait jamais été assigné au départ. Pourtant, indifférent aux regards des autres, Mike dépose ses documents sur la table et s'installe à côté de moi. Je lui transmets un sourire faux et il n'hésite pas à me rendre la pareil. Jusqu'à aujourd'hui, je ne saurais dire ce que Mike pense de moi. Je le connais depuis sa naissance et même si j'ai été beaucoup plus proche de son frère que lui, nous nous sommes fréquentés souvent. Depuis qu'il est née, ma femme l'adore et le chouchoute le plus qu'elle le peut. Elle n'arrêtait pas de me répéter à quel point il était beau, mignon et aimable. Aujourd'hui encore elle tient le même discours, mais avec un brin de tristesse dans la voix.

J'avoue n'avoir jamais fait attention à lui. Je ne le connais que par le biais de son père, qui a passé ses jours à me répéter à quel point il était déçu de lui. Mike était le petit dernier d'une famille de trois enfants. Sa sœur, Maria, s'approchait de la trentaine et son frère avait 25 ans. Celui-ci a vécu toute sa vie sous les projecteurs, car il était l'héritier de la famille. Il y a toujours eu une tension quelconque entre les deux garçons. Déjà, le fait qu'Eric soit l'héritier de la famille le mettait sous les projecteurs, d'autant plus qu'il était "l'enfant parfait" d'après son paternel. Ce dernier aimait bien Mike, mais pas autant que son fils aîné. Le cadet préférait lire dans sa chambre au lieu de participer aux soirées bourgeoises. Il préférait danser le ballet au lieu de jouer au tennis, un sport que son frère pratiquait si bien. John avait fermé les yeux pendant les premières années de ballet, espérant que cette phase disparaîtrait avec l'âge. Or, il n'était pas heureux de voir Mike persister à aller à ses cours alors qu'il avait 16 ans. Ce n'était pas une phase, mais bien une passion à part entière. D'ailleurs, il ne manquait pas à lui faire savoir son mécontentement. Au final, Mike a fini par abandonner la danse, malgré le support de sa mère. Il avait marre des commentaires désobligeants de son père mais en même temps, j'ai trouvé que c'était une bonne chose qu'il soit passé à autre chose. Par contre, ses relations avec son père étaient loin d'être un conte de fées. La situation a empiré lorsque Mike s'est associé à des gangs de rue très douteux. J'étais moi-même sous le choc, d'autant plus que cette initiative mettait l'image de la famille en péril. Rien ne pouvait l'arrêter : il fumait des substances illégales, disparaissait des jours et n'en faisait qu'à sa tête. Son père a dû l'envoyer plusieurs mois dans un centre de correction pour lui remettre les idées en place. À mon avis, il ne lui a jamais pardonné d'avoir faire ça. Il ne lui a rien pardonné en fait. Or, c'était toute sa famille et l'entreprise qui étaient en péril, alors je comprends le choix de John.

Mike a toujours été un enfant sage. Il était "mignon", ce qui attirait les enfants et beaucoup de mères. Il n'était pas dans les plus populaires, mais se tenait avec un groupe d'amis qu'il aimait bien. Lorsqu'il est revenu du centre, il n'a parlé à personne pendant plusieurs jours. C'était difficile de l'approcher et encore une fois, John superposait crise sur crise. Seul moi avait été capable de le supporter, même Maria, sa femme en avait ras-le-bol. Elle l'a menacé de divorcer, sachant très bien au fond d'elle que c'était impossible. L'image de la famille était trop importante.

Cela fait plus de 30 ans que je suis un ami proche des Kim. J'ai grandi dans le même quartier que John et on a pris le contrôle de l'entreprise de son père dans la vingtaine. C'était lui le patron et j'étais son assistant. Au début, le poste me convenait, sauf qu'à la longue, c'est devenu moins intéressant. Personne ne se rappelle de l'assistant alors que c'est lui qui réalise une bonne partie du travail. John prenait tout le crédit et possédait le 3/4 de la richesse, car "c'était sa compagnie et je n'étais que l'assistant". Rien qu'à y penser, je ne regrette guère de l'avoir tué. En réalité, je visais toute la famille. Une soirée de charité avait lieu cette journée-là et comme les Kim s'y rendaient tous en voiture, j'avais trafiqué les freins de l'automobile. Malencontrueusement, il y a eu un imprévu avant le départ. Mike et son père ont eu une altercation et le jeune a refusé de se rendre à la soirée. Sa sœur a essayé de le consoler et sa mère, dépassé par les événements, a refusé d'y aller pour tenir tête à son mari. Ce dernier s'est quand même rendu à l'événement accompagné de son fils, qui était toujours collé à lui. D'ailleurs, il est mort sur le coup. Quant à John, il a succombé à ses blessures dans les jours qui ont suivi.

Mike n'a montré aucun signe de faiblesse lors de l'enterrement, ce qui a étonné tout le monde. Même le concierge a pris le temps de verser quelques larmes. Les gens lui reprochaient d'être insensible tandis que je me demandais s'il n'était pas aussi heureux que moi. Tout portait à croire que oui : la concurrence avec son frère n'est plus et son père n'était plus là pour lui gâcher la vie. Il était peut-être satisfait, mais pas moi. Mike allait dorénavant prendre les devants de la compagnie alors que j'avais prévu que ce soit moi. Même si je vais le guider pour les prochains mois, ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ait le même comportement que son père. C'est la raison pour laquelle je dois rapidement trouver un moyen de me débarrasser de lui pour de bon.